Malgré de maigres espoirs encore ces deux derniers mois, Christophe Kern n’est plus cycliste professionnel après une saison 2014 qui lui laisse un goût d’inachevé. Avec son humilité, l’Alsacien retient au final « la chance » de ses douze années au plus haut niveau. Moments choisis au rythme du Tour de France.
Coéquipier modèle, Christophe Kern a accompli douze années de professionnalisme. Malgré des pépins récurrents, l’Alsacien n’a jamais baissé les bras pour achever sa carrière à la Japan Cup (27e ) en octobre dernier pour la sixième meilleure saison de sa carrière cycliste. Ses efforts ne lui ont pas permis de prolonger son bail après une année 2013 qui avait « épuisé [son] crédit », à cause d’un virus attrapé au Gabon. « Décembre, janvier, j’étais vraiment deg’ et j’ai eu un pincement au cœur avec Paris-Nice, c’est une page à tourner », dévoile celui qui a eu 34 ans le 18 janvier.
« J’ai senti deux pics dans mon genou »
Revenu en 2011 auprès de Jean-René Bernaudeau, avec qu’il avait finalisé sa formation chez les amateurs chez Vendée U avant de passer pro en 2003 sous l’appellation Brioches-La Boulangère, Christophe Kern pointe le moment où tout a basculé lors de cette même année. Après un mois de juin euphorique (lire ci-dessous), le Bas-Rhinois se revoit sur le Tour de France. « Au départ en Vendée, je suis monté dans ma chambre d’hôtel. Je suis redescendu au resto et j’ai senti deux pics dans mon genou. Sur le vélo, je ne sentais rien, même lors du chrono par équipes aux Essarts (2e étape). Mais lors du retour au calme avec Thomas (Voeckler) sur le petit plateau, je l’ai senti et à partir de là, j’ai eu mal tout le temps. Je n’ai pas accepté la douleur. C’était tout con, une tendinite, j’ai toujours eu les tendons fragiles. En juniors, c’était déjà long à guérir. Là, c’était le début des ondes de choc, j’en ai fait plein. » Soigner le mal par le mal a eu raison de son corps, avec un abandon lors de la 5e étape en Bretagne.
À son domicile de Rittershoffen, il a regardé Thomas Voeckler en jaune à la télévision. « Quand je voyais Thomas et Pierrot (Rolland), par rapport à ce qui s’était passé au Dauphiné, j’aurais été avec eux, ou pas loin, ce qui ne m’a pas aidé. »
« Un coup, je l’ai engueulé »
Christophe Kern s’est reconstruit durant l’hiver qui a suivi, même si la douleur était encore présente au Critérium international, fin mars 2012. Protégé pour le Tour de France, il a semblé relancé quand il est devenu papa d’un petit Tom fin juin, juste avant le départ à Liège.
Christophe Kern a contribué à la performance collective d’Europcar lors de cette Grand Boucle, surtout au succès de Pierre Rolland à La Toussuire. L’Alsacien ne s’y attendait pas. « Une analyse de sang montrait qu’un truc chutait, un signe de fatigue. Dans le premier col , je me suis retrouvé avec Pierrot. J’ai attaqué et j’ai vu qu’il avait suivi. Vu mes analyses, je me suis sacrifié et je me suis écarté. Il m’a dit ‘‘Il faut que tu restes’’. Après, j’avais de super jambes, j’ai bourriné et un coup, je l’ai engueulé. Si je ne l’avais pas fait, il se serait fait reprendre. Je n’ai fait que mon boulot d’équipier mis en valeur par sa victoire. Dans le dernier col, les gens me félicitaient et près de l’arrivée, ils me disaient ‘‘Pierrot va gagner’’. C’est ce qui est magique au Tour. »
Le succès, Christophe Kern l’a peu goûté, à quatre reprises seulement (lire son palmarès ci-contre). Et une étape du Tour de France lui fait défaut. Il en est passé tout près en 2009 à Arcalis, dans les Pyrénées, où Brice Feillu, qu’il a talonné, l’a éclipsé. « C’était grisant , retient-il. Ce n’est pas une déception, c’est la beauté du sport. Brice a su se faire oublier dans une montée très tactique avec Astarloza et Nocentini. Je me suis battu pour la gagne avec mes parents au pied du col. Ça reste un bon souvenir… Mais si je gagne, ça change aussi ma carrière. » Le maillot à pois endossé une journée n’a pas compensé.
L’histoire se répétait après le Mondial 1999 en juniors, « à une époque où Alain Vigneron (Ndlr : ancien pro devenu conseiller technique régional) nous suivait avec mon frère Jonathan ». Il avait levé les bras en remportant le sprint… alors que deux hommes avaient déjà coupé la ligne d’arrivée. « Sur le coup, j’étais déçu. Mais après, j’avais la médaille . »
« Passé inaperçu »
Malgré des adversaires suralimentés à une époque, Christophe Kern se montre philosophe. « I l y avait clairement deux cyclismes. J’ai fait une super Vuelta en 2005 face à des extraterrestres, même si j’ai dû abandonner parce que j’étais malade, et c’est passé inaperçu. On traitait les Français de fainéants. C’est frustrant, mais j’ai eu la chance d’être dans l’équipe de Jean-René (Bernaudeau) qui avait ses idées, puis Cofidis et le Crédit Agricole qui étaient dans la lutte. » Et la roue a fini par tourner. « L e vélo a changé grâce à la localisation avec une logique de gars devant », pointe-t-il.
Le Tour de France était le moteur de Christophe Kern, avec la frustration de ne pas en avoir pris le départ en 2006, à Strasbourg. « Une grosse déception. Je savais que ça ne se représenterait pas et je me suis renseigné pour une autre équipe, sinon je ne serais pas parti. Mais chez Cofidis ou au Crédit Agricole, j’ai connu d’autres façons de faire. Et puis, il y a eu mon premier Tour en 2009. Et tous mes coéquipiers sont restés des potes après les équipes ou le vélo. » Des liens tissés grâce à la personnalité affable de Christophe Kern.
L’Alsacien espère voir son avenir lié à la famille du cyclisme après un récent bilan de compétences avec le syndicat des coureurs, l’Union nationale des cyclistes professionnels (UNCP). Il n’a toutefois besoin de personne pour estimer sa carrière. « J’ai eu la chance d’avoir fait ce métier, que je voulais faire quand j’étais jeune, pendant douze ans, il ne faut pas non plus être trop gourmand. Ça aurait déjà pu s’arrêter plus tôt. Et quand j’ai fini par faire le Tour en 2009, c’était super. »
Avec quatre participations à la Grande Boucle, Christophe Kern a pris son Tour avant de le passer.